Buster Keaton (Joseph Francis Keaton)

Nationalité : américaine

Naissance : 4 octobre 1895 à Piqua (Kansas)

Décès : 1er février 1966 à Hollywood (Californie)

Profession : acteur, réalisateur, scénariste, producteur

Filmographie sélective (réalisation)

The Rough House (Fatty chez lui) (et Roscoe Arbuckle) 1917

Coney Island (Fatty à la fête foraine) 1917

One Week (La maison démontable) (et Edward F. Cline) 1920

The Scarecrow (L'épouvantail) (et Edward F. Cline) 1920

Neighbors (Voisin voisine) (et Edward F. Cline) 1920

The Haunted House (Malec chez les fantômes) 1921

Cops (Frigo déménageur) (et Edward F. Cline) 1922

The Frozen North (Frigo l'esquimau) (et Edward F. Cline) 1922

My Wife's Relations (Les parents de ma femme) 1922

The Paleface (Malec chez les indiens) 1922

The Blacksmith (Malec forgeron) (et Malcolm St. Clair) 1922

The Electric House (Frigo à l'Electric Hotel) (et Edward F. Cline) 1922

The Love Nest (Frigo et la baleine) (et Edward F. Cline) 1923

The Three Ages (Les trois âges) (et Edward F. Cline) 1923

The Balloonatic (Malec aéronaute) 1923

Our Hospitality (Les lois de l'hospitalité) 1923

The Navigator (La croisière du Navigator) (et Donald Crisp) 1924

Sherlock Jr (1924)

Seven Chances (Les fiancées en folie) 1925

Go West (Ma vache et moi) 1925

Battling Butler (Le Dernier Round) (1926)

The General (Le mécano de la Générale) 1927

College (Sportif par amour) 1927

The Cameraman (L’opérateur) (de Edward Sedgwick) 1928

Steamboat Bill Jr (et Charles Reisner) 1928

Spite Marriage (Le figurant) (et Edward Sedgwick) 1929

[Courts et longs métrages]

Le Mécano de la « General » par Eric Rohmer

 

« Le comique de Buster Keaton, qu’on pourrait appeler comique de contemplation, s’exerce à tout moment, puisqu’il ne joue pas sur la surprise. Il joue sur l’émerveillement, ce qui est tout autre chose. Cela dit, je dois avouer qu’à la seconde vision [du Mécano de la “General”], je n’ai pas ri du tout, ce qui peut paraître étrange, puisque le comique, précisément, ne repose sur rien d’inattendu. En fait, je crois plutôt que l’inattendu est a chaque seconde de l’histoire qui se déroule sous nos veux. Alors, ce cinéma-là ne supporterait pas la “relecture” ? Tout au contraire.

Ce que je dis n’a rien d’une réserve. Je n’ai pas éprouvé à la deuxième, a la troisième, a la énième vision, ce sentiment de gêne qui vous saisit à la vue d’une scène qui prétend être drôle et n’arrive pas à vous faire rire. Le rire, le comique étaient là, non plus en soi, pour moi, mais comme dirait le philosophe, en soi pour soi, latents dans le film, et faisaient place a une impression de grandeur épique que je voulais maintenant savourer seule. Impression que je n’avais trouvée, et que je n’ai trouvée depuis, qu’auprès de Griffith et Murnau. Ce sont eux trois qui m’ont ouvert les secrets d’une des opérations capitales de la mise en scène cinématographique: l’organisation de l’espace.

Mais parlons d’abord du rire. Il naît, a-t-on dit, d’un sentiment de supériorité bienveillant ou malveillant. Dans le cas des héros comiques du muet, il est, en général, bienveillant en ce qui les concerne eux-mêmes, et malveillant à l’égard de leurs partenaires. On regarde Charlot un peu comme un enfant insupportable et dont les espiègleries vous ravissent, ce qui n’empêche que ces malheurs puissent attendrir. Le rire critique est dirigé vers les autres.

Au contraire, le rire que suscite Buster Keaton est de la même nature que celui provoqué par un jeune enfant prenant au sérieux une tâche qui est apparemment au-dessus de son âge et de ses possibilités. Un enfant qui cherche à faire “la grande personne”. Une certaine condescendance, mais aussi une réelle admiration sont mêlées à ce rire. […]

Chez lui, peu de gestes d’expression, résidus de l’ancienne mimique, ou contamination chaplinesque qui, généralement, détonnent. Il n’accomplit que les mouvements exigés par l’action et dont l’efficacité est prouvée à tout instant. Buster est toujours au travail. Charlot, au contraire, s’ingénie à ne rien faire ou à saboter sa tâche. […]

Les valeurs que défend le personnage sont celles du monde ou il vit et sur lesquelles il renchérirait plutôt. Ce moralisme, non moins que le mécanisme apparent de son jeu, lui a aliéné jadis l’intelligentsia qui lui préférait l’anticonformisme, le nihilisme de Chaplin. Rien de corrosif ici. Pas de critique de la société établie mais, sous le respect et les égards qu’on lui témoigne, celle-ci ne laisse pas moins apparaître ses contradictions. La croyance du héros en la pureté d’un idéal chevaleresque se heurte à la dureté constitutive du monde des choses et des hommes. »

Éric Rohmer, Positif, n° 400, juin l994