Cahiers du cinéma

Revue de cinéma française

Revue de cinéma créée en 1951 par André Bazin, Jacques Doniol-Valcroze, Joseph-Marie Lo Duca et Léonide Keigel (numéro 1, avril)

 

Monsieur, pardon ! Vous n'avez rien contre la jeunesse ?

A bout de soufle, Jean-luc Godard, 1959

 

« André Bazin m'a fait travailler au service cinématographique du ministère de l'agriculture. Au début, j'ai habité à Bry-sur-Marne, chez lui et sa femme. J'ai mené là une vie familiale qui m'avait beaucoup manqué depuis plusieurs années. André dirigeait les Cahiers du cinéma, qui n'avaient alors qu'une vingtaine de numéros et dans lesquels écrivaient mes anciens copains de la Cinémathèque : Jean-Luc Godard, Jacques Rivette, Éric Rohmer... Mon passage à l'armée m'avait dégoûté du cinéma. À l'armée, j'avais calculé que j'avais vu près de deux mille films en six ou sept ans, et que j'avais donc perdu quatre mille heures de lecture.

En me retrouvant dans une ambiance cinéma chez Bazin, je me suis remis à aller au cinéma parce qu'il écrivait sur le cinéma et qu'on parlait des films. Un jour, je lui ai dit : "Je crois que je pourrais écrire un peu sur le cinéma." Il m'a dit d'essayer, et il a publié mes premiers articles dans les Cahiers du cinéma. Puis j'ai écrit aussi pour Arts, La Parisienne, Le Temps de Paris. J'ai été complètement repris par le cinéma, j'ai quitté les Bazin pour prendre une chambre à Paris.

Pour Bazin, disons que je me suis mal exprimé – les sentiments qui me lient à eux sont au-delà de la reconnaissance ; pendant les quinze jours que j'ai passés à Bry, j'ai découvert le bonheur de la vie "familiale".

J'ai retrouvé mes amis : Rivette, Godard, Chabrol, etc. Mais c'est une étape, celle des articles dans les Cahiers du cinéma et Arts. Une étape évidemment plus intellectuelle, car il s'agissait de réfléchir sur les films, de les commenter. D'écrire, quoi ! Il ne s'agissait pas de se laisser saouler par les images, il fallait vraiment analyser le scénario. Ça a été une étape formidablement importante : j'ai commencé à chercher pourquoi les films n'étaient pas entièrement intéressants, pourquoi la première moitié était bonne et pourquoi la seconde partait dans tous les sens. Pour la première fois, au lieu de dire "c'est bon !", "c'est mauvais !", j'ai commencé à essayer d'imaginer comment ça aurait pu être bon ou pourquoi c'était mauvais. »

François Truffaut