Caméra-stylo

« C'est pourquoi j'appelle ce nouvel âge du cinéma celui de la Caméra stylo. »

Alexandre Astruc

Alexandre Astruc

Profession : écrivain, critique et cinéaste

Naissance : le 13 juillet 1923 à Paris

Décès : le 19 mai 2016 à Paris

« Naissance d'une nouvelle avant-garde : la caméra-stylo »

Alexandre Astruc

L'Écran français, 30 mars 1948 (numéro 144)

« Précisons. Le cinéma est en train tout simplement de devenir un moyen d'expression, ce qu'ont été tous les autres arts avant lui, ce qu'ont été en particulier la peinture et le roman. Après avoir été successivement une attraction foraine, un divertissement analogue au théâtre de boulevard, ou un moyen de conserver les images de l'époque, il devient peu à peu un langage. Un langage, c'est-à-dire une forme dans laquelle et par laquelle un artiste peut exprimer sa pensée, aussi abstraite soit-elle, ou traduire ses obsessions exactement comme il en est aujourd'hui de l'essai ou du roman. C'est pourquoi j'appelle ce nouvel âge du cinéma celui de la Caméra stylo. Cette image a un sens bien précis. Elle veut dire que le cinéma s'arrachera peu à peu à cette tyrannie du visuel, de l'image pour l'image, de l'anecdote immédiate, du concret, pour devenir un moyen d'écriture aussi souple et aussi subtil que celui du langage écrit. »

« L'événement fondamental de ces dernières années, c'est la prise de conscience qui est en train de se faire du caractère dynamique, c'est-à-dire significatif de l'image cinématographique. Tout film, parce qu'il est d'abord un film en mouvement, c'est-à-dire se déroulant dans le temps, est un théorème. Il est le lieu de passage d'une logique implacable, qui va d'un bout à l'autre d'elle-même, ou mieux encore d'une dialectique. Cette idée, ces significations, que le cinéma muet essayait de l'aire naître par une association symbolique, nous avons compris qu'elles existent dans l'image elle-même, dans le déroulement du film, dans chaque geste des personnages, dans chacune de leurs paroles, dans ces mouvements d'appareils qui lient entre eux des objets et des personnages aux objets. Toute pensée, comme tout sentiment, est un rapport entre un être humain et un autre être humain ou certains objets qui font partie de son univers. C'est en explicitant ces rapports, en en dessinant la trace tangible, que le cinéma peut se faire véritablement le lieu d'expression d'une pensée. »

« Ce qui implique, bien entendu, que le scénariste fasse lui-même ses films. Mieux, qu'il n'y ait plus de scénaristes, car dans un tel cinéma cette distinction de l'auteur et du réalisateur n'a plus aucun sens. La mise en scène n'est plus un moyen d'illustrer ou de présenter une scène, mais une véritable écriture. L'auteur écrit avec sa caméra comme un écrivain écrit avec un stylo. Comment dans cet art où une bande visuelle et sonore se déroule développant à travers une certaine anecdote (ou sans anecdote, il importe peu) et dans une certaine forme, une conception du monde, pourrait-on faire une différence entre celui qui a pensé cette oeuvre et celui qui l'a écrite ? »