Jean Douchet

Nationalité : française

Naissance : 19 janvier 1929, Arras, France

Décès : 21 novembre 2019

Profession : critique et historien de cinéma, enseignant, réalisateur

Filmographie

Le mannequin de Belleville (1962)

Saint-Germain des Prés in « Paris vu par… » (1965)

Alexandre Astruc, l'ascendant taureau (TV), pour « Cinéastes de notre temps » (1967)

Et crac ! (1969)

Le dialogue des étudiantes (1970)

La jeune Femme et la Mort (1972)

En répétant Perceval (TV) (1977)

Godard plus Godard (TV) pour « Étoiles et toiles » (1985)

Gérard Titus-Carmel, un profil (1986)

Éric Rohmer, preuves à l'appui (TV), pour « Cinéastes de notre temps », coréalisé par André S. Labarthe (1994)

La servante aimante, d'après La Serva amorosa de Carlo Goldoni (1996)

Femmes chez Hitchcock (coréalisateur : Jean Couturier) (TV) (1997)

Vanités (2004)

À bicyclette (2009)

Claude et Éric (2010)

Bibliographie

Alfred Hitchcock, Cahiers de L'Herne, coll. « L'Herne Cinéma », n° 1, 1967 ; Éditions de L'Herne (1985) sous le titre Hitchcock ; Cahiers du Cinéma, 1999

L'art d'aimer (1987), réédition Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma, 2003

Paris cinéma : une ville vue par le cinéma de 1895 à nos jours, avec Gilles Nadeau, Du May, 1987

La modernité cinématographique en question, Le cinéma muet des années parlantes, avec Rick Altman, La Cinémathèque française, 1992

Le théâtre dans le cinéma, La Cinémathèque française, 1993

Nouvelle vague, F. Hazan, 2004

Pour João César Monteiro : « Contre tous les feux, le feu, mon feu », Paulo Rocha, Jean Douchet, Hugues Quester, Alain Bergala et al., Yellow now, 2004

La DVDéothèque de Jean Douchet, Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma, 2006

Jean Douchet, l'homme cinéma : entretien avec Joël Magny, Écriture, coll. « Essais et entretiens », 2014

L'art d'aimer

Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma, (1987) 2003

Serge Daney : Ce qui nous avait frappés à l'époque, dans ta méthode critique, c'était la façon dont tu partais du film, vraiment de l'objet film, les images et les sons. En fait, cette méthode pavait le chemin de l'approche plus fine qui est arrivée plus tard, avec le structuralisme et tout un outillage linguistique. Mais ce qui est frappant aujourd'hui, avec le recul, c'est que tu tirais toujours cet objet-film vers une interprétation thématique et non pas vers l'établissement de figures purement cinématographiques. C'était une méthode qui allait de la matière filmique à une matière thématique.

Jean Douchet : Comme tout un chacun, j'ai parcouru un itinéraire. Le mien a rencontré deux points forts. L'un fut Bachelard, tant dans ses écrits que comme professeur, qui m'apprit à donner priorité à l'imaginaire, c'est-à-dire à un mouvement qui entraîne la pensée. L'autre, Éric Rohmer - à l'époque Maurice Schérer - qui dans son article de la Revue du cinéma (n° 14) « Le Cinéma, art de l'espace » me découvrit la prépondérance de la construction des lignes et des figures ainsi que les rapports incessants d'un espace sur un autre. En fait, si une théorie archaïque a laissé sur moi quelques traces, c'est bien celle du cinéma comme art du mouvement pur. Traduite en films expérimentaux, bien que certains ne manquent pas de charme, elle m'indiffère. Mais je crois qu'elle répond à quelque chose qui touche ma sensibilité. D'une certaine façon, je cherchais une critique qui épouse le mouvement même des films et se soumette à la dialectique de leur développement. À l'époque, il me fallait encore passer par la thématique. D'abord parce qu'elle restait le fondement « Bazin » des Cahiers du cinéma. Ensuite parce que nous n'aurions pas été compris sans elle (mais sans elle, aurions-nous pu saisir ce que nous tentions de cerner ?). On était aux temps où le tout d'un film « était » dans son scénario. Il fallait montrer qu'il « est » dans son écriture. Je m'efforçais d'en extraire les thèmes qu'elle contenait, de révéler le véritable sujet traité. Ainsi l'écriture arrivait au sens. Par contrecoup, je sacralisais l'instrument de l'écriture : la mise en scène. Attitude excessive, parfois, j'en conviens. J'osais dire: chaque cinéaste a son écriture, soyons son Champollion.

Jean Narboni : Ce qui est paradoxal, c'est que Rohmer, Truffaut et toi êtes allés très loin intuitivement, dans ce qui plus tard devait être l'analyse en termes structuralistes etc. Et vous étiez très hostiles à cette méthode.

Jean Douchet : Historiquement parlant, il faut remonter à André Bazin. Il fut le premier à montrer ce que devait être le travail d'un critique cinématographique. Son analyse sur le plan-séquence chez Wyler reste un modèle du genre. Il a deux descendances possibles. Celle que vous attribuez à Truffaut, Rohmer ou moi, et une autre qui serait l'application universitaire et scolaire de la sémiologie (à l'époque, il s'agissait de la filmologie). C'est plus avec cette dernière qu'il y a divergence. Sinon, nous faisions tous du structuralisme sans le savoir. Il y a, pour ma part, une opposition radicale de conception avec la sémiologie. Ma méthode est fondée sur la sensibilité. Je crois, en effet, que l'art reste l'un des deux modes de connaissance et qu'il s'adresse aux sens et à l'affectivité. J'analyse donc mes propres sensations. Car je pense que si un artiste - ce qui est sa fonction - produit un effet, c'est pour en obtenir un résultat ; que si un film produit des émotions, des sensations, je dois passer par elles, les investir, jauger, estimer, comparer pour accéder au coeur du sujet. Ma façon d'analyser n'a pas changé depuis l'époque des Cahiers.

Je travaille, certes, sur un film qui se présente à moi comme un objet. Etre au plus près de ce qui le constitue (image, sons, cadrage, lumière, montage etc.) sera mon souci premier. Je fais en sorte que ce que j'affirme, chacun le regarde ou l'entende sur l'écran. Je hais l'extrapolation. Il faut être absolument fidèle à l'objet. Mais je ne peux me contenter d'opérer à la dépose et à la repose du moteur à fin de relevé. Cet objet, ce film est aussi un organisme vivant. C'est ainsi que je le vis et qu'il a été vécu par son créateur. Et c'est de lui, finalement, que je dois rendre compte. Je reproche - si reproche il y a - aux sémiologues, de ne considérer que l'objet, de ne procéder qu'à une autopsie. Quand j'arrête une image (dans l'étude du plan par plan), je sais qu'elle est en mouvement ; je l'arrête pour en saisir ce mouvement et je vérifie ce que cet arrêt m'a permis de cerner dans l'écriture par la re-situation de cette image dans son mouvement. D'une certaine manière, je refuse la fixité de l'image comme moyen d'appréhension d'un film.

« Entretien avec Jean Douchet par Serge Daney et jean Narboni », L'art d'aimer, Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma, (1987) 2003