Serge Daney

Nationalité : française

Naissance : 4 juin 1944, Paris

Décès : 12 juin 1992

Profession : critique de cinéma

Bibliographie

La rampe, cahier critique 1970-1982, Gallimard, 1983

Ciné journal, 1981-1982, Cahiers du cinéma, 1986

Le salaire du zappeur, Ramsay, 1988, rééd. P.O.L., 1993

L'exercice a été profitable, Monsieur, P.O.L., 1993

Devant la recrudescence des vols de sacs à main : cinéma, télévision, information (1988-1991), Aléas, 1993

Persévérance : entretien avec Serge Toubiana, P.O.L., 1994

L'amateur de tennis : critiques 1980-1990, P.O.L, 1994

Ciné journal, volume II, 1983-1986, Cahiers du cinéma, 1998

La politique des auteurs, Cahiers du cinéma, 2001 (anthologie : entretiens avec 10 réalisateurs)

La maison cinéma et le monde :

tome 1, Le temps des Cahiers, 1962-1981, P.O.L., 2001

tome 2, Les années Libé, 1981-1985, P.O.L., 2002

tome 3, Les années Libé, 1986-1991, P.O.L., 2012

tome 4, Le moment Trafic, P.O.L., 2015

Serge Daney : Itinéraire d’un ciné-fils

Pierre-André Boutang, Dominique Rabourdin, 1992

 

Entretiens avec Régis Debray : prologue...

La maison cinéma et le monde

La maison cinéma et le monde, tome I : Le temps des « Cahiers » (1962-1981), 2001

La maison cinéma et le monde, tome II : Les années « Libé » (1981-1985), 2002

La maison cinéma et le monde, tome III : Les années « Libé » (1986-1991), 2012

La maison cinéma et le monde, tome IV : Le Moment « Trafic » (1991-1992), 2015

Collection « Trafic », P.O.L.

« Le cinéma n'est pas une technique d'exposition, c'est un art de montrer. Et montrer est un geste, un geste qui oblige à voir, à regarder. Sans ce geste, il n'y a que de l'imagerie. Mais si quelque chose a été montré, il faut que quelqu'un accuse réception. Bon, il y a bien d'autres façons de passer sa vie avec le cinéma, mais la mienne c'est celle là. Elle est très tennistique, cette idée qu'il serait scandaleux qu'au service ne succède plus le retour de service. Moi je n'ai pas été un grand serveur, mais je crois, un bon relanceur, comme Jimmy Connors. »

Serge daney, Persévérance, entretiens avec Serge Toubiana, 1994.

« Moi je réagis assez mal quand on me parle de "nostalgie", comme tous les mélancoliques j'ai le goût du présent en soi, celui du journalisme par exemple, qui pense un jour après un jour. Le présent est pour moi une sorte d'absolu, de résistance, de défi à la nécessité de planifier, de programmer, de prévoir et surtout de travailler personnellement à l'obtention de ses propres plaisirs, ce qui m'exaspère et me fait horreur. Le présent, en fait, c'est le luxe de celui qui n'a rien, rien que ces plaisirs non cumulables que sont la conscience d'un nouveau jour, qui commence, du soleil sur la peau, d'une terrasse de café, du défilé des autres, les gens normaux. C'est la fierté de ceux qui ne possèdent rien et c'est déjà le travelling de Kapo : tu ne peux pas avoir ce jeu de scène et ce mouvement de caméra, il faut choisir. Pas de cumul, pas de de gestion, ce mot qui a connu un tel succès, l'obligation d'être sur le chemin des choses, comme elles viennent, une à une, vers moi et vers le seul corps qui est le mien et qui devra bien leur "rendre" — par oral, par écrit, par écriture orale —  quelque chose. La perfusion du présent. »

Serge daney, Persévérance, entretiens avec Serge Toubiana, 1994.

« Il y a une chose essentielle, que je tiens à dire parce qu’elle vaut pour tout et m’a protégé, toute ma vie, des vrais grands dérapages ou des vrais grands naufrages, une chose qui m’a permis de nager, comme Thomas l’Obscur de Blanchot, jamais au milieu de la piscine mais... C’est un sentiment de protection que j’ai eu tout petit, comme quoi chaque expérience appartient dans l’absolu à celui qui l’a vécue. Personne ne la lui enlèvera, que cette expérience soit nulle ou passionnante, elle est inaliénable. Même lorsqu’il m’est arrivé de ne rien faire d’intéressant, ce sentiment ne m’a pas quitté: je ne vivais pas les mêmes expériences que d’autres au même moment. L’essentiel est de préserver la richesse de cette expérience, de ne pas la dévaloriser, c’est notre seul bien, et si on en est profondément persuadé, cela nous épargne l’envie, la jalousie, le ressentiment, le fascisme, toutes choses qui rendent la vie impossible à beaucoup. Je suis inaccessible à l’envie, c’est peut-être ma sainteté. La seule chose qui m’intéresse c’est de comprendre comment l’autre se dépatouille, de connaître ses paramètres, ce avec quoi il se bagarre, sur quoi il bute, et qu’est-ce que ça produit. C’est une chose que nous avons en commun tous les deux, c’est par là qu’on se ressemble : ce questionnement sur ce qui est moteur chez l’individu, dans le sujet. Cette sorte de commérage théorique m’intéresse prodigieusement. Car la force du cinéma, c’est qu’il nous a donné de magnifiques accès à d’autres expériences que les nôtres, nous a permis de partager, ne serait-ce que quelques secondes, quelque chose de très différent. Et ce que l’on a en commun, ce sont justement ces quelques secondes. J’en suis reconnaissant au cinéma, car c’est une idée que j’ai depuis l’enfance: ce que je fais en ce moment, il n’y a que moi qui le fais, qui le vois et qui en ai conscience. Et s’il faut lutter contre l’idéologie chrétienne c’est bien parce qu’elle consiste à enlever à l’individu cette protection minimale qu’il n’a que ce qu’il vit, et que c’est lui qui le vit. L’histoire du siècle, avec toutes ses horreurs, c’est aussi celle de ceux qui n’ont pas vu, qui n’ont pas fait confiance à ce qu’ils voyaient, à ce qu’ils écoutaient, et cela s’est payé en millions de morts. Cela n’est pas suffisant, cela n’empêche pas d’être trompé ou illusionné, mais il est bon de reprendre l’argument d’un Godard attristé lorsque, dans ses Histoires du cinéma, il interroge : est-ce qu’on ne peut pas regarder une dernière fois ce que les gens n’ont pas pu ou pas voulu voir, et ce qui a découlé de leur refus de voir ? Ce bon côté de l’égoïsme relève aussi du matérialisme antique. L’autre jambe est religieuse et j’ai aussi une jambe de ce côté-là : les gens ont besoin d’intercesseurs, de passeurs, de prêtres, sachant qu’il pourrait y avoir parmi eux des crapules. A un certain moment, on a besoin de quelqu’un sans pouvoir être juge de sa jouissance propre. »

Serge daney, Persévérance, entretiens avec Serge Toubiana, 1994.

Les contrebandiers de Moonfleet, Fritz Lang, 1955

« Mais il avait un autre rêve celui d'écrire un "vrai" livre. Economisant ses dernières forces pour sa revue, il n'en avait mené à terme qu'un seul chapitre, "Le travelling de Kapo", qu'il destina, ne pouvant plus écrire, à faire l'ouverture du numéro 4. Ce livre qui aurait dû rendre compte de sa propre vie lue au regard de cette vie plus vaste que le cinéma lui avait révélée et donné mission de connaître, devait contenir une discrète leçon morale dont il trouvait l'émouvante désignation dans une réplique de l'enfant John Mohune, prononcée plusieurs fois dans Moonfleet de Fritz Lang, qu'il voulait employer en vf. et qui sert de titre au présent recueil. De 1988 à la fin de l'année 1991, Serge Daney notait sur les disquettes de son ordinateur ses réflexions, ses questions, ses hypothèses, sur des films, des cinéastes, des phénomènes sociaux ou politiques désormais médiatisés. Certaines servirent de matériaux de base pour des articles, d'autres non, mais toutes furent corrigées et amendées dans la perspective d'un journal de bord continué plus allégé dans les premiers numéros de "Trafic" relatant ce qu'il savait être sa dernière traversée des apparences. »

Jean-Claude Biette, introduction, L'exercice a été profitable, Monsieur, Serge Daney, 1993

« Au nombre des enfants que je n'ai pas été, il en est cinq, à peine plus jeunes que moi, qui menèrent, dans quelques grands films des années cinquante, une existence de celluloïd. John Powell, John Mohune, Michel Gérard, Edmund Koeler et Antoine Doinel tous abandonnés. Certains en Amérique, d'autres en Italie, un seul en France. Je me souviens du Gaumont Voltaire dont je sortis en 1959 avec un premier vrai cafard. La salle a disparu, pas le film que j'y vis et dont tout le monde parle encore "Les Quatre Cents Coups". C'était un cafard très pur, une lucidité d'enfant étonné par sa découverte, à savoir que la vie dispose sans pathos du destin des êtres et que le mal est fait très tôt. Je ne sais pourquoi tout le monde citait Vigo et parlait de révolte alors que mon sentiment était tout autre. Truffaut serait le moins romantique d'une Nouvelle Vague qui, Godard excepté, l'était déjà très peu. L'auteur le moins religieux aussi. Persuadé qu'au-delà de la capacité du cinéma de procéder dès ici-bas à un "culte des morts", il n'était pas d'autre monde. Toutes choses que je ne compris qu'après sa mort, face à "La Chambre verte". »

L'exercice a été profitable, Monsieur, Serge Daney, 1993